Monday, December 18, 2006

L’émotion de la quête des racines algériennes

Zinedine Zidane en Algérie à l’invitation du président de la République
L’émotion de la quête des racines algériennes
Lundi 11 Décembre 2006
Par
Chaffik Benhacene
Zinedine Zidane sera donc en Algérie à compter d’aujourd’hui, à l’invitation du président de la République, et visiblement les quelques voix qui s’étaient élevées, notamment en Kabylie -bien moins virulentes que celles qui s’étaient opposées au déplacement de Macias, lui aussi d’origine algérienne et invité du chef de l’Etat- pour l’inciter à se décommander, n’ont pas été entendues. Pour qui connaît l’extrême méticulosité avec laquelle l’ex-capitaine de l’équipe de France gère son image, particulièrement ses sorties publiques, le message peut valoir pour tous ceux qui, sur des registres divers, seraient tentés de rechercher quelques dividendes politiques d’un déplacement sans doute placé sous le signe de l’émotion et de la quête des racines. La seule certitude est que l’enfant de la Castellane –Yazid, pour tout dire- sera accompagné par le papa Slimane dont on sait, par les très rares témoignages personnels qu’il a consentis à la presse internationale, qu’il occupe une place très forte dans sa vie. Interrogé, récemment, sur le moment le plus intense d’une carrière qui n’en manqua guère, Zinedine Zidane l’a situé –sans doute à la surprise de son intervieweur– dans «les larmes que je voyais dans les yeux de mon père lorsqu’il m’avait accompagné, pour la première fois, au centre d’entraînement de l’AS Cannes». Pour toutes ces raisons, il est facile d’imaginer que la découverte d’Aguemoun et des racines de la famille constituera un moment exceptionnel pour Zidane qui sait d’ailleurs qu’il y est particulièrement attendu et ce n’est pas prendre un risque que d’affirmer que la chaleur et l’affection dont il sera entouré par les hommes et les femmes de la région traduiront les sentiments profonds de l’ensemble des Algériens à l’égard d’un homme aimé pour sa grande humanité et admiré pour son talent absolument hors normes. Cela dit, tous ceux qui accompagneront ce qui confère à un véritable pèlerinage, et plus particulièrement ceux des observateurs familiers du football de très haut niveau qui connaissent la grande pudeur de Zinedine à se livrer, suivront avec attention l’inédit challenge d’être précisément Zidane dans le pays des ancêtres.
Au panthéon du football mondial C’est que Zidane déplace les foules partout dans le monde –on l’aura encore vérifié tout récemment au Bangladesh- et son déplacement en Algérie a bien valeur d’événement, pour lui d’abord et ses proches, mais aussi sans nul doute, pour les Algériens d’ici et de France notamment. A l’image des quelques très rares joueurs d’exception qui ont pris place, comme Pelé ou Maradona, au panthéon du football mondial, Zidane incarne, au-delà de sa nationalité, cette capacité de se renouveler du football et de proposer des rêves universels à tous ceux qui, le plus souvent, sont privés de rêves et de libertés. Ce n’est pas le lieu ni le moment de revenir sur le sens et la portée de cet impact sans pareil et qui a définitivement intégré le football comme l’une des expressions majeures de la civilisation moderne et tout au plus faut-il enregistrer que la place qu’y occupe Zinedine Zidane n’est en rien usurpée. Plus qu’un palmarès tout à fait prodigieux –est-il sans doute l’un des joueurs qui a gagné tous les trophées proposés par la FIFA-, c’est en fait l’art d’être lui-même, c’est-à-dire capable de créativité, d’accélération, de générosité envers les coéquipiers –et ce ne seront pas Dugarry, Ronaldo ou Raul qui démentiront- au service d’une vision du jeu aussi spectaculaire qu’efficace qui font que Zidane a acquis un statut à part dans le football mondial que personne d’ailleurs ne songe à contester. Sa dernière sortie vaut que l’on s’y arrête dont le désormais culte «coup de boule» n’est qu’une énigmatique ponctuation car il faut rappeler que Zizou, qui avait officiellement fait part de sa retraite internationale, s’était lancé l’incroyable challenge d’amener en finale de Coupe du monde une équipe de France déconstruite, démoralisée, raillée y compris dans son propre pays. On peut avoir en mémoire quelques commentaires fielleux des médias français qui avaient accompagné le retour du retraité aussi promptement salué, les résultats aidant, en enfant prodige. Est-ce aussi cela, cette force morale exceptionnelle, cette capacité de (se) remobiliser qui place Zidane sur un registre d’exception.
L’énigmatique coup de boule A-t-il alors gâché, le 9 juillet dernier, le sacre ultime annoncé devant une équipe italienne battante mais sans réel génie, en répondant à des provocations auxquelles son long séjour dans le Calcio l’avaient forcément habitué ? On peut chipoter –comme continuent de le faire devant la justice ceux qui estiment illégale et abusive une expulsion fondée sur la vidéo que ne reconnaissent pas les règlements de la FIFA-, ou se perdre en conjectures sur les nerfs du capitaine de l’équipe de France qui auraient lâché alors même que tout le monde s’accorde sur la grande compétitivité d’un joueur ayant disputé les plus prestigieux titres. Le fait indiscutable est que la sortie de Zidane a privé la France d’un second sacre quasiment promis et, pour ne rester que sur le seul terrain sportif, cet incident inopiné aura, une fois de plus et surtout une fois pour toutes, vérifié que l’équipe de France avec ou sans Zidane n’est pas la même équipe. Alors, faut-il voir dans cet incroyable coup de boule –qui aura de manière à peine imaginable donné sens à la Coupe du monde allemande- l’inédite résurgence des racines profondes du pays des ancêtres ? Le peu de choses rapporté sur les insultes proférées par Materrazi mettent en jeu des notions d’honneur, de famille qui forcément prennent une résonance singulière dans les sociétés méditerranéennes et précisément dans la société algérienne. Sur le strict plan de la forme, Zidane a bien été expulsé pour une agression contre un adversaire selon les règlements de la FIFA et est-ce aussi cela qui donne une tonalité d’exception au message qui lui a été adressé –dans la nuit même de la finale, rédigé de sa main et adressé par ses propres soins à l’APS laisse-t-on entendre– par le président de la République qui plus est avait dûment évoqué –chose assez peu convenue- le cas Zidane lors de la conférence de presse sanctionnant sa visite officielle en Grande-Bretagne. Cette solidarité du pays des origines, exprimée si publiquement et par la voix la plus autorisée, au moment même où en France se dressaient déjà quelques potences médiatiques vaut d’être soulignée et a-t-elle, peut-être, rendu plus facile ou à tout le moins nécessaire l’hommage ostensible rendu par Jacques Chirac à Zidane lors de l’accueil officiel de l’équipe de France dans les jardins de l’Elysée le 14 juillet dernier.
Généreux et discret La question de savoir comment gérer les relations avec l’un des hommes constamment donnés parmi les plus appréciés par l’opinion française, est rien de moins qu’évidente et cela d’autant plus que dans le sillage de la fantastique aventure de l’été 98 et de la première consécration mondiale un agrément spectaculaire avait été donné à une France métissée «black-blanc-beur» dont Zizou avait été érigé comme l’un des symboles. Ainsi, il pouvait y avoir autre chose que la peur panique des «banlieues de l’islam» et cela d’autant plus que la «success story» de Zidane, fils d’un ouvrier algérien marié avec une Française aux consonances espagnoles, pouvait être tout à fait exemplaire –bien plus d’ailleurs que celle, tout aussi remarquable de Michel Platini, petit-fils d’Italiens- des capacités du modèle républicain français à fédérer les différences d’origine et de convictions religieuses. Depuis novembre 2005 et le brutal rappel à l’ordre des banlieues de la désespérance ou encore le climat assez glauque qui marque le rapport au passé colonial de la France et que traduit la loi de février 2005, mieux vaut, en effet, s’appeler Zidane et jouer au Real Madrid que travailler dans les aéroports de Paris quand on porte un nom arabe. Faut-il aussi donner acte à Zidane –contrairement à son ami Thuram qui s’est exprimé publiquement contre les positions de Sarkozy- de la stricte distance qu’il s’est constamment imposée avec le débat politique français et quitte-t-il les crampons quasi exclusivement pour soutenir des actions caritatives à l’image de celle de l’association ELA qu’il parraine. C’est aussi sur le registre du caritatif que Zinedine Zidane a effectué son retour au pays de ses parents et la presse algérienne n’a pas manqué de signaler ses gestes et l’appui qu’il apportait aux plus jeunes. Il en sera sans doute question durant le séjour qu’il entame –on parle en particulier d’une visite à l’hôpital de Draria-, alors même qu’ici et là dans le pays nombre d’associations -celle des diabétiques du Khroub en particulier- espèrent pouvoir sensibiliser Zizou à leur combat. Zidane, qui avait rencontré le football algérien le soir d’un certain 6 octobre 2000 au Stade de France, avait fait l’événement, l’été dernier, en prêtant son image à la campagne publicitaire d’un opérateur de téléphonie mobile, est assurément au fait de tout l’intérêt que lui portent les Algériens. L’ex-star du Real Madrid devrait être reçu à la présidence de la République pour une rencontre après tout inédite qui aura au moins le mérite de signaler que l’Algérie commence à regarder en face ces -petits–enfants sortis un peu de ses entrailles et qui ont su faire leur chemin sous un autre drapeau que le sien.
C. B ( La tribune - 11 décembre 2006 )

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