Monday, December 18, 2006

La guerre des mémoires aura-t-elle lieu ?

La guerre des mémoires aura-t-elle lieu ?
Le philosophe français Bernard Henri Levy a souvent affirmé son hostilité à une guerre des mémoires au prétexte qu’il n’existe pas de symétrie historique entre la shoah et d’autres actions génocidaires et exterminatrices subies par nombre de peuples dans le monde. Sans doute une telle posture occulte-t-elle les traumatismes mortifères pour les consciences collectives qu’ont induit l’esclavage, le colonialisme, les déportations massives de populations, les bains de sang effroyables qui révulseront la conscience humaine sans limite de temps. L’humanité se souviendra dans mille ans du carnage tragique qui a décimé les Indiens d’Amérique. Personne, et surtout pas Bernard Henri Levy, ne pourra dire que c’est là une parenthèse dont l’Amérique actuelle s’est exonérée en accédant au rang de puissance mondiale. Il n’y a pas, dans la configuration humaine, une hiérarchie de peuples ou de croyances, plus éligibles que d’autres à être légitimés par l’histoire passée ou celle en train de se faire. Car qui a décidé que les Indiens d’Amérique ne pouvaient plus avoir droit au chapitre ? Il suffit pour se convaincre du contraire de lire l’admirable ouvrage de Dee Brown, Enterre mon cœur à Wounded Knee. N’est-ce pas là aussi, sauf volonté de privilège exclusif, une shoah perpétrée de sang-froid ? Il n’empêche pourtant que le mot est entré dans le sens commun. Durant l’agression israélienne contre le Liban, des Arabes musulmans l’avaient qualifiée de shoah au regard du nombre effrayant de morts qu’elle avait occasionné. La mémoire humaine, celle de l’histoire, ne peuvent pas être graduées à l’aune de la pensée unique sans susciter du révisionnisme et du négationnisme. Le déni s’affirme, dans ce cas de figure, comme un positionnement politique qui chercherait à mettre les souffrances de l’humanité en concurrence au lieu que de les rassembler comme exemplaires d’actes à ne plus commettre. La disparition d’une tribu d’Amazonie constituée de dix individus serait un déchirement pour tout le genre humain. Car c’est un segment de civilisation universelle qui se diluera dans l’indifférente nature. Au-delà, il y a un juste milieu au-delà duquel ceux qui tiennent pour l’absolu de la shoah et ceux qui en contestent le bien-fondé diront paradoxalement la même chose. Le destin de l’humanité peut s’exempter de chocs qui ossifient la pensée et la désarment face à des dangers dont peu de peuples sortiront indemnes. Le devoir des penseurs éclairés, et Bernard Henri Levy en est un, est de conforter le sentiment que la communauté de destin qui unit les peuples du monde ne peut pas s’embarrasser de raccourcis. Il n’y a que le choix pertinent d’armer ces peuples de culture, le savoir étant un rempart contre le refus de l’autre. Transcender la guerre des mémoires, c’est livrer un combat sans merci à la misère, à l’ignorance, à l’indigence intellectuelle qui ont nourri les violences de l’histoire dont il convient de prendre acte aussi pour que le monde s’en trouve apaisé. Les hommes et les femmes naissent égaux en droits et en devoirs ; aucun des peuples qu’ils constituent n’a le monopole de la souffrance. Les voies de l’exclusive ne sont jamais celles qui conduisent aux vertus du partage.
Amine Lotfi (Editorial El Watan - le 13 décembre 2006 )

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