Friday, December 29, 2006

Près d’une femme sur dix subit des violences dans son couple

Les chiffres effarants de la violence à leur égardCoups, blessures, enfermement, brimades, insultes, menaces, attouchements ou rapports sexuels forcés… Dans l’espace public ou privé, la femme algérienne est victime de violence. L’enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes met en évidence la prévalence de ce phénomène qui touche la femme dans son intégrité morale et physique.

La synthèse des résultats de l’enquête nationale sur la violence à l’égard des femmes a été présentée, hier, par le ministère délégué chargé de la Famille et de la Condition féminine, au même titre que ceux relatifs à l’intégration socioéconomique des femmes. L’étude sur la violence à l’égard des femmes réalisée par le Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) durant le ou mois de juin 2006 permet de mesurer la gravité en Algérie de ce phénomène qui touche à des taux plus moins importants tous les pays du monde. Pour la directrice générale du CRASC, l’étude en elle-même constitue une avancée considérable et dénote une certaine transformation sociale. “Il y a une aspiration nouvelle, les femmes aujourd’hui veulent exister en tant que personne. Même au sein d’une relation aussi institutionnalisée qu’est le mariage, les femmes osent parler et parlent de violences…”, a précisé Mme Remaoun.

Deux approches ont été utilisées par les chercheurs. La première approche consistait en une étude socio-anthropologique qui a donné la parole aux victimes et qui incluait également une étude des représentations sociales (focus groupes). Il s’agit en second de l’enquête type ménage qui a cerné près de 2 043 ménages répartis sur les quatre régions du pays couvrant 11 wilayas et 28 communes. Une femme par ménage a été concernée par un questionnaire regroupant plus de 300 questions. La population féminine représentée est âgée entre 19 et 64 ans révolus. 63% résident en milieu urbain et 37% en milieu rural. Près de 54% d’entre elles sont mariées, un tiers célibataires, et une femme sur dix est soit divorcée, soit veuve. Une femme sur cinq est occupée, 50% n’ont jamais travaillé, une femme sur dix a déjà travaillé et plus d’une femme sur dix est étudiante. La synthèse des résultats est effarante.

L’espace privé, notamment le couple, constitue un terreau pour ce phénomène. Les femmes en couple, qu’elles soient mariées ou non (fiancé, petit ami…), déclarent à près de 16% avoir subi des violences physiques durant leur vie. Durant les 12 derniers mois, soit entre juin 2005 et juin 2006, près d’une femme sur 10 affirme en avoir subi. Et ce, de manière répétée et régulière. Pour les violences verbales, près de deux femmes sur dix ont été l’objet d’insultes humiliantes ou dégradantes. Elles sont trois sur dix à déclarer avoir subi des pressions psychologiques. Celles-ci se déclinent en sept catégories entre les menaces de violence physiques sur elle ou sur les enfants, les menaces de répudiation, d’enlèvement de la garde des enfants, de la privation de budgets… Quant aux violences sexuelles au sein du couple, une femme sur dix (10,9%) affirme avoir été contrainte à des rapports sexuels forcés sur les douze derniers mois.

L’espace public ne protège pas non plus la femme. Elles sont 6% à avoir subi des violences verbales, 6,3% des violences physiques, 5% à avoir fait l’objet de harcèlement sexuel ou d’attouchements, 0,6% de violences sexuelles. Le milieu du travail a également ses chiffres. La violence verbale touche 12,10% des femmes. Elles sont 2,15% à déclarer avoir subi de la violence physique, 1,6% du harcèlement sexuel et 1% des violences sexuelles. Plus grave encore, les femmes ne sont pas exemptes de violence dans le sacro-saint espace éducatif ou de formation. Près de 10,8% déclarent avoir subi de la violence verbale, 4,7% de violence physique, 7% de harcèlement sexuel ou des attouchements et 1,9% des rapports sexuels forcés.

Les femmes violentées consomment deux fois plus de tranquillisants et de psychotropes que les femmes qui ne sont pas victimes de violence. Leur malaise et la violence se répercutent également sur les enfants. Un enfant sur cinq, dont la mère est victime de violence, a des troubles du sommeil, de l’alimentation, de la scolarité. “Plus les femmes sont jeunes, plus elles sont maltraitées dans le couple. Elles ont entre 35 et 55 ans, mais c’est surtout parce que les plus jeunes ne sont pas encore mariées”, a précisé Mme Mimouni, chercheur au CRASC. Le niveau d’instruction a également son incidence. “Les femmes d’un niveau primaire et analphabète sont les plus maltraitées. Plus la femme est instruite et moins elle déclare de violence.”
Nouara Djaâfer, ministre déléguée chargée de la Famille et de la Condition féminine a estimé que le sujet de la violence à l’égard des femmes n’est pas un sujet tabou et qui nécessite que les pratiques et idées dans la société évoluent afin de lutter contre ce phénomène. D’autant que les deux enquêtes nationales permettent de fait de relancer le débat sur le statut, le rôle et la place de la femme dans la société.

Nouara Djaâfer fustige le rapport du Pnud
La ministre déléguée chargée de la Famille et de la Condition féminine a officiellement réagi sur le rapport du Pnud relatif au monde arabe et qui a été très critique sur l’intégration socioéconomique de la femme dans la région. “Ce rapport met tous les pays arabes dans un seul panier. Chaque pays a ses spécificités et caractéristiques. Le rapport du Pnud n’a pas cerné la femme algérienne. Tout ce que nous demandons est qu’il soit objectif”, a précisé Nouara Djaâfer. Il semble que l’institution onusienne n’ait pas pris en considération dans son rapport les différentes réformes introduites en Algérie notamment celles du code de la famille et de la nationalité.S.S, Liberté, Le 25 Decembre 2006

Demande de dépénalisation de l’avortement

Les praticiens de la santé devant l’ampleur du phénomene

A peine si les femmes algériennes arrivent à relever un défi, qu’un autre se dresse à l’horizon et demande encore plus d’effort et de résistance. Les violences à l’égard des femmes sont un sujet qui suscite en ce moment un bouillonnement en milieu associatif, mais aussi à un haut niveau de l’Etat.
Les dernières études faites sur le phénomène ont démontré la croissance de celui-ci, en enregistrant l’apparition de nouvelles formes de violence.Et c’est une de ces formes de violence qui a fait l’objet, hier, d’une conférence organisée par l’Association algérienne pour la planification familiale (AAPF). Il s’agit de l’avortement dans tous ses aspects : l’avortement à risque, l’avortement chez les femmes célibataires et l’avortement thérapeutique. Si l’objectif de cette conférence est de trouver des mécanismes pour réduire l’ampleur de ce fléau, il n’en demeure pas moins que c’est l’autorisation de cette pratique qui revient, chaque fois, dans les débats des professionnels de la santé, particulièrement les gynécologues. Le débat était dans sa globalité contradictoire. Les avis divergent entre les défenseurs de la non-pénalisation de l’avortement et ceux qui considèrent cet acte comme un crime commis contre le fœtus. “Je suis contre l’avortement, car il y a mort d’un être vivant, par contre, je suis d’accord pour la généralisation de contraceptifs afin de prévenir les grossesses indésirables”, a déclaré le professeur Benachenhou. Ce dernier refuse de donner une couleur thérapeutique à un avortement. Il met l’accent sur la responsabilité de la femme dans cette grossesse. Le Dr. Bengharbia, gynécologue, soulève quant à lui, l’absence des lois claires sur l’avortement, ce qui met le praticien dans une situation d’embarras, chaque fois qu’il doit décider d’une interruption médicale d’une grossesse, due généralement à une malformation grave.


Le conférencier qui a relevé le recours des familles de la femme enceinte à des religieux pour un avis concernant l’autorisation de l’interruption de la grossesse, estime que la mise en place d’un Conseil multidisciplinaire qui va associer plusieurs ministères, dont celui des Affaires religieuses, pourrait être d’un grand appui pour trancher ce genre de questions. M. Bengharbia profite de cette opportunité pour interpeller les pouvoirs publics sur la nécessité de mener de larges campagnes de sensibilisation et d’information à l’égard des jeunes adolescentes et des femmes célibataires, sur les modes de contraception. “Je trouve désolant que des jeunes filles mineures utilisent la pilule du lendemain, sans même connaître son mode d’utilisation”, fait-il remarquer, en apportant le témoignage de toutes ces femmes qui se trouvent enceintes suite à un mauvais usage des contraceptifs. L’intervention de Mme Salhi, chargée de la Commission femme à l’UGTA, a d’ailleurs accentué sur ce dernier point, en invitant la société civile et les praticiens de la santé à briser ce tabou et à nommer les choses comme elles sont. “Il y a une réalité et il faut en parler en toute franchise et avoir le courage de prendre en charge ce genre de problème”, dit-elle. Le débat s’enrichit par l’intervention d’une sage-femme, qui elle, va jusqu’à demander “l’ouverture des services de la Protection maternelle et infantile (PMI) pour les femmes célibataires”.

L’oratrice a même plaidé pour la suppression du livret de famille des consultations au niveau des PMI, afin que les jeunes femmes puissent accéder aux contraceptifs avec toutes les précautions médicales et gynécologiques qui accompagnent la prise de ces contraceptifs. Une autre gynécologue revient à la charge, mais cette fois-ci pour dénoncer une autre aberration pratiquée par la Sécurité sociale. En effet, les ordonnances prescrivant des contraceptifs pour des femmes non mariées, ne sont pas remboursées par la Sécurité sociale. C’est une réalité à laquelle sont soumises les femmes célibataires. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’avortement a pris, non seulement de l’ampleur, mais une forme clandestine qu’aucun ne peut maîtriser. En résumé, les intervenants à la conférence d’hier, se sont entendus que seule une volonté politique réelle pourrait remédier à cette situation. Mais les pouvoirs publics sont-ils en mesure de franchir ce pas, en sachant que la législation est puisée de la charia, qui interdit catégoriquement
l’avortement ?

Rosa Mansouri - Le Soir d’Algérie. Le 27 Decembre 2006

Saturday, December 23, 2006

Le ciel du maghreb convoité

Le ciel du maghreb convoité

Imaginez un match de foot Chelsea-FC Barcelone retransmis à 20h sur une chaîne de télé algérienne. Inconcevable ? Pas tant que ça… En dix ans, la multiplication des chaînes privées à destination du public arabe il en existe quelque 200 sur le satellite dont l’incontournable Al Jazeera, depuis peu en version anglaise a bouleversé le paysage audiovisuel.

En particulier au Maghreb où les investisseurs lorgnent avec envie cet énorme gâteau publicitaire évalué à 300 millions d’euros cette année et 700 millions en 2009. Les Marocains ne s’y sont pas trompés : le 1er décembre, Medi 1 Sat, la première chaîne privée du pays, a été inaugurée. Ses ambitions : diffuser, depuis Tanger, de l’information en continu et s’autoproclamer très vite " première chaîne d’information du grand Maghreb et de la communauté maghrébine en Europe ". Même la Tunisie, depuis 2005, a la sienne : Hannibal TV.

Mercredi 6, à son tour, la France lançait une autre chaîne consacrée à l’actualité, mais cette fois sur Internet, France 24, promettant d’ores et déjà un canal en arabe pour 2007. Indifférente à l’effervescence générale, l’Algérie refuse pour l’instant, d’après les déclarations du ministre de la communication, de s’ouvrir aux chaînes privées ou semi-publiques. " La raison en est toute simple : ce type de média dérangerait le pouvoir en place, explique un proche du ministère de la communication. Le gouvernement garde un souvenir amer de la chaîne de Khalifa qui causa beaucoup de tort à Abdelaziz Bouteflika. " D’après un ancien journaliste de l’Entreprise nationale de télévision, cette crispation serait due à la mentalité des dirigeants algériens qui ont connu le maquis. " Pour eux, mieux vaut trois quotidiens qui les critiquent qu’une image télé négative passée en boucle. Pourquoi Al-Djazira a ouvert son bureau régional au Maroc ?

Parce que l’Algérie n’en a pas voulu. Résultat : on a laissé partir des millions de dollars et des milliers d’emploi mais et surtout, les messages que l’Algérie tient à faire passer -sur les relations entre le nord et le sud, le Sahara occidental… ne sont pas représentés pendant qu’on laisse la parole aux opinions marocaines. " L’Algérie pourra-t-elle résister longtemps aux sirènes de l’audiovisuel ? Evidemment non, assurent en chœur les professionnels du secteur. " Un pays ne peut se faire respecter que s’il a les moyens d’être influent, comme le prouve l’expérience du Qatar avec Al-Djazira, analyse Pierre Casalta, le patron de Médi 1 Sat. A notre époque, il est contre productif de vouloir " bunkeriser " l’information, car le citoyen va la chercher ailleurs.

" D’autre part, les retombées économiques liées aux 80 millions de téléspectateurs du Maghreb dont 35 millions en Algérie et à la très forte audience en France- ont de quoi séduire. " Ce n’est pas un hasard si les chaînes du Moyen-Orient ont des bureaux régionaux au Maghreb, poursuit-il. Dans les années à venir le Maghreb constituera un ensemble puissant, et celui qui s’y imposera est celui qui saura occuper la place le premier. " Dans les bureaux de l’Entreprise nationale de télévision, un cadre dédramatise. " Même si la tendance n’est pas à l’ouverture, nous avons les moyens de garder notre public en lui proposant un produit unique 100% algérien : films, documentaires, sport…

N’oublions pas que Canal Algérie est la première chaîne arabe regardée en France. " Cinq chaînes thématiques -jeunesse et sport, business, savoir, tamazight et région centre- finalisées mais pour l’instant non autorisées, devraient à l’avenir redynamiser la télé algérienne. A défaut de lui rendre son statut originel de reine de l’information. " Cinquième télévision publique à être diffusée par satellite, l’Entv était dans les années 90 à la pointe de l’information dans le monde arabe et une des rares télés présentes sur le terrain pendant la guerre du Golfe ", rappelle un ancien journaliste de la maison. Mais assurer la couverture de l’actualité 24 heures sur 24 coûte cher. " Trop cher !, se défend un cadre de l’Entv. Nos trois chaînes fonctionnent avec 30 millions d’euros par an. France 24 dispose de 88 millions et Al Jazeera de 500 millions ! " Sollicité pour répondre à nos questions, le ministre de la communication reste injoignable. " Le champ médiatique algérien est en train de s’asphyxier. La Mauritanie, avec ses nombreux projets, va nous dépasser ! , ironise l’ancien journaliste de l’Entv. Mais je suis sûr que tôt ou tard, l’Algérie devra s’ouvrir au privé. " A charge des politiques de le comprendre. " Et de tirer des leçons de l’histoire, conclut-il. Soixante-dix ans de télé propagande en Europe de l’est n’ont pas empêché le mur de Berlin de tomber... "

Mélanie Matarese, El Watan, Le 21 décembre 2006

Friday, December 22, 2006

GUERRE D’ALGERIE : Le rôle de la Kabylie toujours occulté

GUERRE D’ALGERIE : Le rôle de la Kabylie toujours occulté

Samedi 6 novembre 2004 - Ferhat Mehenni


Le regard de l’histoire sur ce que fut la guerre d’Algérie se détourne toujours de son acteur principal : la Kabylie. Ni les livres publiés jusqu’ici, ni les nombreux articles parus à l’occasion de ce cinquantenaire du 1er novembre 1954 n’en font cas.
En Algérie comme en France, évoquer la Kabylie et son rôle de premier plan dans cet épisode bouscule trop d’intérêts et d’idées reçues. Alors, de part et d’autre de la Méditerranée on préfère amputer la mémoire de ce qu’elle a de contrariant et de subversif. Tous savent que sans cette partie du pays, la guerre d’indépendance n’aurait sûrement jamais eu lieu, mais il ne faut surtout pas le dire.

En Algérie où la légitimité du pouvoir repose sur la " révolution " et son exercice sur le régionalisme, rendre compte de la bravoure kabyle dans le combat libérateur équivaudrait à glorifier une région que l’on tente d’éloigner de la gestion du pays, de réduire par la répression et de dépersonnaliser par l’arabisation. D’héroïne de la guerre de libération, la Kabylie est reléguée, au lendemain de l’indépendance, au rang " d’ennemi interne " de la nation. Cela a pour avantage de décomplexer vis-à-vis d’elle les régions du pays qui n’avaient pas pris part plus activement à l’entreprise nationale .et de faire un coup d’Etat à l’Histoire. En effet le slogan " un seul héros : le peuple !" lancé en 1962, pour occulter l’identité des véritables artisans de cette décolonisation au profit des " planqués " au Maroc et en Tunisie pendant la guerre et qui venaient de prendre le pouvoir à Alger au lendemain de l’indépendance, a, depuis, atteint son objectif.

La France, de son côté, n’a pas d’autre choix que de tourner la page de " l’Algérie française ". Il n’est pas dans la vocation des vaincus de tresser des lauriers à ceux qui les ont battus. " La politique arabe " de la France esquissée du temps de Napoléon III s’est renforcée au fil des décennies au détriment de l’amazighité nord-africaine en général et de la kabylité en particulier. La volonté de la France de reprendre en main, ces derniers temps, les pays de son ancien empire colonial pour affirmer son rang à l’échelle de l’Europe et du monde l’oblige à caresser dans le sens du poil la plupart des pouvoirs qui y sont en place dont celui d’Alger, quand bien même ils sont loin des valeurs qu’elle cultive en métropole. Depuis la deuxième guerre du Golfe, la recherche par l’Elysée de soutiens contre l’influence de l’hyper puissance américaine dans cette partie du monde a rendu la " patrie des Droits de l’Homme " moins regardante sur ses fréquentations. L’Algérie est devenue un atout majeur de la France en Afrique du Nord. C’est ainsi que la Kabylie, démocrate et francophile, est sacrifiée sur l’autel des intérêts stratégiques du moment. La Kabylie n’a pas de voix à l’ONU pour intéresser le Quai d’Orsay en cette conjoncture particulière. Enfin, les colossales réserves pétrolières de l’Algérie ont eu définitivement raison des derniers scrupules que certains responsables politiques dans l’Hexagone nourrissent à l’égard du peuple kabyle.

Pourtant, avec le recul dont nous disposons, nous pouvons enfin restituer aux Kabyles ce qui leur appartient ; autant pour la vérité historique que pour ce que nos peuples respectifs sont devenus : plus que des amis, des frères dont les intérêts vitaux sont intimement liés. Ayons le courage de le reconnaître : la guerre d’Algérie n’opposait principalement que les Kabyles au système colonial français. Il ne s’agit pas ici de nier ou de remettre en cause la part non négligeable des actions menées ici ou là par d’autres régions d’Algérie durant ces violences mais de rendre à la Kabylie et aux Kabyles la part de mémoire dont ils ont été spoliés depuis. C’étaient les Kabyles qui avaient porté à bout de bras l’essentiel tant du mouvement national que de la guerre d’Algérie. C’étaient eux qui avaient ronéotypé le tract de la " Déclaration " du 1er novembre 1954 et qui avaient envoyé des hommes, dans d’autres régions, tirer les premiers coups de feu pour faire croire à une insurrection nationale. Les renforts de troupes dépêchés par l’armée française pour venir à bout des " fellaghas " étaient pour la plupart dirigés vers la Kabylie qui demeurait une aire de résistance particulièrement tenace. C’était contre le maquis kabyle que les bombardements au napalm étaient expérimentés. La majorité des populations déplacées des " zones interdites " étaient pratiquement toutes kabyles. On peut ajouter le fait que le seul Congrès du FLN tenu pendant la guerre, le 20 août 1956, s’était tenu en Kabylie au nez et à la barbe de la fine fleur du renseignement français. Enfin, l’offre d’indépendance séparée n’était faite, en vain, par la France qu’aux Kabyles.

Pour autant, malgré la violence de la guerre qui nous avait opposés, on se méprendrait sur le regard qu’a le Kabyle pour le Français. En ce temps-là déjà, le Kabyle ne le haïssait pas. Au contraire, il l’admirait. S’il le défiait c’était davantage pour se faire admettre comme son égal que pour sa nature revancharde. Il l’admirait autant pour sa maîtrise de la technologie, son instruction, que ses réalisations urbanistiques. Ce qu’il ne supportait pas de sa part, c’était le système colonial et l’humiliation que la colonisation avait fait subir à la Kabylie au lendemain de son soulèvement de 1871 sous la direction d’Amokrane (El Mokrani) et de Cheikh Ahddad. Depuis, la braise était sous le pied nu. Il n’y a rien de plus cher pour un Kabyle que sa liberté. Jusqu’à la guerre d’indépendance, il n’avait de cesse de remuer ciel et terre pour retrouver sa fierté et son honneur perdus sur sa terre. Toutefois, dès les premiers contingents d’émigrés venus en France à partir de la fin du 19e siècle, les Kabyles vont commencer à aimer petit à petit celle-ci. Ils y font l’apprentissage de la modernité, des luttes sociales et des idées héritées du siècle des Lumières. N’étaient le système colonial avec sa cohorte de discriminations et le déni d’existence du peuple kabyle, ils auraient volontiers contribué à l’ŦAcirc;?uvre civilisatrice française. On le voit aisément aujourd’hui : le Kabyle ne s’est jamais senti aussi proche de la France que depuis qu’il a honoré son contrat avec son arrière grand-père de 1871. Il n’y a jamais eu autant d’immigrés kabyles dans l’Hexagone que depuis l’indépendance de l’Algérie. Ils s’y sentent enfin citoyens et considèrent la France comme leur patrie naturelle après la Kabylie. La confrontation s’est enfin mue chez eux en amour, voire en dévotion pour la France. Pendant cette douloureuse épreuve qui les avait opposés mais aussi ce grand compagnonnage entre le peuple kabyle et le peuple français, chacun a pu apprécier à sa juste mesure la valeur de l’autre.

Toutefois, si la réconciliation entre Français et Kabyles est exemplaire, si ces derniers s’intègrent en France comme leurs prédécesseurs Italiens, sans faire de bruit, les institutions françaises qui évoluent plus lentement, gardent toujours quant à elles de la méfiance à l’encontre de ceux qui furent le fer de lance de la perte de " l’Algérie française ".

Mais à la vitesse où va le monde, le fossé peut être comblé très vite pour le bonheur des uns et des autres et pour que, demain, le Français et le Kabyle se sentent chacun chez lui sur la terre de l’autre. Il ne sert à rien d’occulter l’Histoire, il faut la dépasser en la digérant. Je reste persuadé que l’avenir de la Kabylie sera fonction de l’attitude de la France vis-à-vis du combat du peuple kabyle pour son droit à l’existence. Cet avenir ne saurait se concevoir en dehors d’un état régional autonome ou fédéral en Algérie si, du moins, on veut comprendre le pourquoi de la guerre d’Algérie. La France, en voyant d’un bon ŦAcirc;?il la revendication actuelle de la Kabylie, gagnerait en influence et en enracinement linguistique dans une partie du monde particulièrement acquise à une autre culture.

Par Ferhat Mehenni, auteur de " Algérie : la question kabyle ", Ed. Michalon, 2004

http://www.makabylie.info/ahric4/communiques/com_suite_news.php?id_news=105

L’Algérien qui rit, l’Algérien qui pleure

Décidément, l’Algérien concentre en lui tous les défauts du monde. Il en a encore pris pour son grade lors de l’avant-dernière sortie publique du président de la République. Evoquant la manne financière que représente le tourisme mais qui peine à être dynamisé, le chef de l’Etat a pointé du doigt le responsable qui est, à son avis, l’Algérien.

Cet Algérien qui ne sait pas sourire, qui ne veut pas porter la valise des autres. Avant ce jour, il était question de son manque d’empressement à l’effort pour justifier la présence de la maind’oeuvre chinoise. Sur son site Web, le ministère des Affaires étrangères français souligne que l’Algérien ne respecte pas le code de la route. Les statistiques des services de sécurité font ressortir que l’Algérien a le couteau facile. Malheureusement, tout cela est vrai. L’Algérien porte en lui toutes ces tares et d’autres encore. Elles sont visibles et nul ne peut les nier. Soit! Mais faut-il en rester à répéter les mêmes constats que personne ne conteste? Tous ces «traits de caractère» ne sont que des effets. Et si l’on parlait plutôt des causes?Car, enfin, pourquoi l’Algérien est-il si différent dès qu’il est à l’étranger? D’où lui viennent tous ces sourires, toutes ces politesses dès qu’il est hors de son pays? Pourquoi est-il très sollicité pour les rudes travaux de chantiers en Europe et particulièrement en France? D’où lui viennent toutes ces amabilités, cette solidarité, cette chaleur et cette entraide dès qu’il est en présence d’un compatriote rencontré dans tout autre pays de la planète que le sien? Pourquoi sait-il traverser convenablement les passages cloutés et respecter les feux à Genève, Paris ou Boston? L’Algérien retrouve à l’étranger les vertus qui le quittent dès qu’il foule le sol de son pays. Pourquoi? Grande question qui, malheureusement, n’a pas été posée par nos responsables et surtout n’a jamais été soumise à débat entre spécialistes.

Il est clair que l’Algérien est passé, en juillet 1962, c’est-à-dire hier, brutalement d’un état à l’autre, de l’esclavage à la liberté. Sans transition. Sans aucune préparation. Mais surtout sans aucun accompagnement. Il venait de sortir d’une catastrophe qui, sans être naturelle, en était quand même une. Une catastrophe qui aura duré plusieurs siècles. Des siècles durant où le dominateur, autant le Turc que le Français, n’a pas fait de quartier pour s’acharner contre l’Algérien. Il est dans l’air du temps aujourd’hui que des victimes d’accidents ou, a fortiori, de catastrophes aient droit à un suivi psychologique. La toute dernière fois où ce suivi a été mis en avant à satiété dans notre pays, c’était au lendemain du séisme de Boumerdès, en mai 2003.

Au-delà de la qualité du suivi qui a été prodigué, il y a lieu d’en adopter le principe et faire en sorte de développer cette science dans notre pays. C’est ce qui nous a cruellement manqué en 1962. Le plus lamentable dans l’histoire est que, depuis tout ce temps-là, aucune conférence, séminaire, colloque ou quelque chose qui y ressemblerait n’ont été organisés autour du thème «Le colonisé et la liberté». Rien qui ait pu susciter des débats et des réflexions entre spécialistes en vue d’aider l’Algérien à surmonter les tares qui lui empoisonnent l’existence aujourd’hui encore.

Et si l’on se cantonne au seul constat, on ne fera pas mieux que Malek Bennabi, Tocqueville ou encore Albert Memmi dont la réédition de l’oeuvre est précisément préfacée par Abdelaziz Bouteflika. Donc, il faut aller aux causes pour espérer une thérapie. Pour faire retrouver le sourire à l’Algérien, chez lui.

Par Zouhir MEBARKI, L'expression, Le 21 décembre 2006

Note : Le versant sud de la liberté + Le défi Indien

Monday, December 18, 2006

Jamel Debbouze interdit de séjour en Algérie

Refus inexpliqué de visa pour le comédien franco-marocain

Ce qui n’était qu’une rumeur de mauvais goût a fini par être confirmé, hier, en début de soirée. Le célèbre comédien franco-marocain, Jamel Debbouze, a effectivement essuyé une fin de non-recevoir à sa demande de visa d’entrée en Algérie pour la promotion du film Indigènes dans lequel il tient le rôle principal. par l’AFP.
C’est le producteur lui-même, Jean Bréa, qui a confirmé la (mauvaise) nouvelle hier. « Les autorités algériennes ont refusé de délivrer un visa au comédien Jamel Debbouze qui désirait se rendre en Algérie pour présenter le film Indigènes », a, en effet, indiqué hier à Paris le producteur Bréa, interrogé Jean Bréa a ajouté qu’il ignorait les raisons de ce « niet ». Le producteur précise que le comédien a déposé une demande de visa pour l’Algérie depuis une « quinzaine de jours », en prévision de la présentation du film sur les anciens combattants coloniaux. Une précision qui a le mérite de battre en brèche l’autre rumeur selon laquelle le concerné n’aurait pas demandé le précieux document. On sait, désormais, que ce sont les autorités algériennes qui ont sciemment refusé d’accueillir le comédien dans la mesure où même la chargée de la promotion du film, Caroline Aymard, a également avoué, hier à Alger, que Debbouze n’a pas obtenu son visa. Il faut dire que cette décision était déjà dans l’air puisque toutes les administrations directement concernées par cette affaire n’ont pas voulu confirmer ni infirmer la nouvelle. Ni le ministère des Affaires étrangères ni celui de la Culture n’ont répondu à nos questions durant toute la journée d’hier alors que le consulat d’Algérie à Paris était resté injoignable. Ce silence calculé dénote, à l’évidence, le souhait des autorités à ce que « ce refus » pas très diplomatique, ne fasse pas les choux gras des médias. Or, il s’agit tout de même d’un grand comédien qui plus est participe dans une œuvre cinématographique qui, curieusement, renforce l’argumentaire des autorités algériennes sur les bienfaits de la présence des indigènes dans… l’armée française. Même le président français Jacques Chirac a dû céder à l’émotion du film en décrétant, tout de suite après, la mise à niveau des pensions des anciens combattants issus des ex-colonies françaises avec celles des nationaux de la métropole. Ce fut là le premier avantage collatéral d’un film qui n’aurait pu voir le jour sans le talent du réalisateur Bouchareb mais surtout de Jamel Debbouze. Il se confirme ainsi que cet artiste est officiellement déclaré persona non grata en Algérie. Son péché ? Avoir soutenu la version marocaine (son pays d’origine) relative au conflit du Sahara-Occidental. C’est du moins la seule « lecture » qui pourrait être faite de ce refus en l’absence d’une explication officielle des autorités. Quelle ne fut la surprise des nombreux fans algériens de Jamel Debbouze de voir son spectacle annulé sine die. On a découvert qu’il était un sympathisant du roi et de « l’intégrité territoriale de son royaume ». Au-delà du fait que les positions, « accessoirement politiques » de Jamel Debbouze soient parfaitement compréhensibles par le fait même qu’il soit sujet de Sa Majesté, on se demande pourquoi les autorités marocaines n’ont pas fermé les portes devant Khaled et Mami qui font un tabac à Casablanca, Marrakech et Rabat. Faut-il donc exiger de toutes les célébrités qui veulent venir en Algérie de montrer patte blanche sur le dossier sahraoui avant de leur accorder le fameux visa ? Cela rappelle étrangement les péripéties vécues par un autre monument de l’art, Enrico Macias en l’occurrence qui, en 2000, n’a pas pu faire son pèlerinage dans son pays natal pour avoir soutenu Israël par rapport à la Palestine. C’est dire, tout compte fait, que les autorités algériennes ont encore une fois maladroitement politisé une histoire d’artiste pour lui donner une dimension malheureusement scandaleuse. Et au train où vont les choses, même Zinédine Zidane devrait subir un test s’il était politiquement correct avant de renter chez lui…
Hassan Moali ( El Watan - 8 octobre 2006 )

La visite de Zidane est un coup de tête de l’Algérie

La visite de Zidane est un coup de tête de l’Algérie
Kamel Daoud
Qu’est-ce que Zinedine Zidane ? C’est un produit international, de nationalité française et d’origine algérienne. Tout le monde y trouve son compte: la multinationale du football et l’industrie qui s’en nourri, la France plurielle qui l’exhibe comme une réussite et l’Algérie qui l’invite pour compenser le déboisement sportif national. Après s’être battu sept ans, avoir été indépendant pendant trente ans, s’être trompé jusqu’en 1988 et avoir tout cassé jusqu’à la « réconciliation », il ne restait plus rien de l’Algérie qu’un originaire de l’Algérie pour tout oublier. On comprend alors le cadeau fait par l’Algérie à Zidane qui lui fait un cadeau en répondant à l’invitation.L’illustre bonhomme reste presque l’unique produit « made in Algeria » par ses parents même si pour lui l’Algérie n’est déjà plus qu’un souvenir poli. Il est la preuve que si la colonisation n’a pas été une belle histoire, l’immigration semble avoir été plus positive. Et on comprend pourquoi l’Algérie le traite comme la Palestine: avec lui à raison ou à tort lorsque le bonhomme a eu tort de donner un coup de tête. Reste alors la question qui se pose: pourquoi Zidane ne vient-il se souvenir de ses souvenirs qu’aujourd’hui et pourquoi l’Algérie ne l’a invité que lorsqu’il a presque mal fini ? Réponse: parce qu’il est quand même algérien de fabrication, parce qu’il fait rêver les jeunes Algériens qui n’auront plus à acheter des barques pour aller le voir là-bas, parce que cela fait bien pour la fréquentabilité du pays et parce que mis à part Bouteflika, le pétrole, les dos d’âne et la pomme de terre, il ne se passe pas grand-chose dans ce pays où le football est en panne.Ce n’est pas tout cependant: désormais retraité, ce n’est que dans le pays où la retraite peut déboucher sur une seconde vie que Zidane peut encore jouer sans ballon, tirer sans être obligé de marquer des buts et frapper sans rien risquer dans le cadre de la Charte. Symboliquement, c’est dans un pays qui ne fait rien que Zidane peut ne rien faire et se faire applaudir quand même. Il ne peut être qu’un grand joueur dans un pays qui n’a plus d’équipe et remplacer tout un championnat par un seul sourire à l’aéroport.La visite de Zidane va cacher le reste: d’abord le football local d’abord réduit à des sénatoriales, le manque de divertissement politique depuis le rétablissement de Bouteflika et enfin le traité d’amitié entre la France et l’Algérie remplacé par une réception à l’honneur du maire de Marseille. Est-ce tout ? Non: l’Algérie prouve qu’elle est obligée, pour se remonter le moral, d’importer les gens qu’elle a produits et de revendiquer un rêve et une réussite même si elle n’y a participé qu’avec le nom et le prénom du prodige. C’est mieux que rien, c’est-à-dire que c’est mieux que l’équipe nationale.
Quotidien d'Oran- le 07 décembre 2006

Zidane répond aux questions des journalistes

Du politiquement correct à l’équipe nationale

Emu et satisfait de l’accueil qui lui a été réservé, Zinedine Zidane qui a animé une conférence de presse hier à l’hôtel El-Djazaïr, a indiqué qu’il a senti «cette chaleur de la part du peuple algérien à mon égard». «D’ailleurs, a-t-il dit, j’ai tenu à ce que mon père et ma mère ainsi qu’un de mes quatre frères m’accompagnent en Algérie.
Croyez-moi, j’avais tellement envie de revenir, après 20 ans, car cela me rappelle des souvenirs d’enfance très forts». Zidane s’est également dit «heureux» pour le bonheur qu’il apporte au peuple algérien. Il a fait savoir qu’il n’avait pas effectué de visite en Algérie auparavant «en raison de son emploi du temps».
Il a également évoqué son voyage à Béjaïa où il souhaite «manger du pain kabyle et du poivron». Il a même répondu à une question posée en kabyle signifiant au journaliste, auteur de la question, «qu’il comprend le kabyle, mais ne le parle pas». Evoquant ses différentes tournées à Alger et Boumerdès, il a indiqué «qu’il privilégie l’action envers l’enfance» précisant que le plus important «c’est la santé». Plein d’humilité, les actions qu’ils mènent ne sont pas celles de Zidane mais, a-t-il précisé, «des actions de la Fondation France 98 qui regroupe les footballeurs français de 96 à 2000».
«Pendant ces deux jours d’émotion et d’admiration on a pu inaugurer plusieurs installations, car il est utile d’aider les gens». Dans le même ordre d’idées et à propos des spots publicitaires tournés pour une entreprise implantée en Algérie, il a souligné qu’il n’a pas fait cette publicité «pour m’enrichir, cet argent est resté en Algérie pour financer une fondation».
Interrogé sur la Kabylie et le village de ses parents, il dira «qu’il y a des actions et des projets mais il est encore très tôt d’en parler». Toutefois, Zidane est resté perspicace quand il s’est s’agi de répondre à une question en relation avec l’amazighité: «Je suis là pour parler du sport et je ne quitterai pas ce terrain». Pour ce qui est de l’audience que lui accordera aujourd’hui le président Bouteflika, il a indiqué que «c’est un privilège d’être reçu par le président de République». Zidane souhaite voir l’Algérie disposer d’une équipe de football comme celle de 1982. «J’aimerai bien voir l’équipe d’Algérie dans des compétitions mondiales comme la Coupe du monde ou la CAN». Cela l’a amené à évoquer le match France-Algérie, affirmant qu’il est désolé pour les Algériens que ce match ne soit pas allé jusqu’au bout. «Il n’y a pas eu en fait d’incident. Les gens de banlieue qui étaient rentrés sur le terrain voulaient s’amuser», a-t-il précisé. Zidane qui a évacué une question d’une journaliste italienne sur Materazzi, a fait savoir qu’il a émis le vœu de visiter le stade du 5 Juillet qui représente beaucoup pour l’Algérie. «J’y serai jeudi». Il a également démenti les informations selon lesquelles il aurait été convoqué en équipe d’Algérie. «J’ai fait toutes les catégories en équipe de France des minimes aux seniors».
Kamel Mohamed ( le Quotidien d'Oran - 13 décembre 2006 )

Des milliers d’Algériens de France ne passeront pas l’Aïd en famille

Des milliers d’Algériens de France ne passeront pas l’Aïd en famille
Algérie - « A chaque fois, c’est la même misère. Des billets introuvables ou vendus à des tarifs exorbitants ». Ahmed, 48 ans, a perdu tout espoir de passer la fête de l’Aïd avec sa famille. Depuis plus de quinze jours, toutes les agences de voyages qu’il visite lui réservent la même réponse:
toutes les places en tarifs promotionnels ont été vendues depuis longtemps. Ils restent quelques billets plein tarif, notamment sur Alger.« Ils m’ont proposé une place pour Alger le 30 décembre à 15h30. Mais j’ai refusé de la prendre parce que c’est loin de Constantine et je risque de ne pas arriver chez moi le jour de l’Aïd. Or, c’est pour passer la fête avec ma famille que j’ai décidé de partir en Algérie ». Ce dimanche, il compte appeler sa femme et ses enfants pour leur annoncer qu’il ne sera pas avec eux le jour de l’Aïd. En France depuis bientôt 30 ans, Ahmed fait un constat amer: « Depuis maintenant 10 ans, chaque année qui passe est pire que la précédente ».Patron d’une agence de voyages situé dans le 11ème arrondissement de Paris, Mahmoud confirme: « Il n’y a plus de places pour la majorité des aéroports algériens. Il reste quelques-unes sur Alger mais elles sont proposées à des tarifs très élevés ». La cause ? Comme tous les ans, en période de forte affluence, les compagnies aériennes qui desservent l’Algérie livrent des places au compte-gouttes aux agences de voyages. Les autres billets, plus chers, sont vendus directement par les compagnies elles-mêmes, pour s’assurer des marges confortables.Pire: les compagnies Air Algérie, Aigle Azur et Air France n’ont prévu aucun vol supplémentaire durant cette période. Pourtant, en plus des traditionnelles vacances de Noël et du Nouvel An, la fin de l’année 2006 coïncidera avec la fête de l’Aïd El-Kébir. Il y a quelques années, les Algériens vivant en France acceptaient plus facilement les difficultés qu’ils rencontraient quand ils devaient prendre l’avion vers leur pays d’origine. Le terrorisme avait fait fuir toutes les compagnies étrangères et Air Algérie, en difficulté, peinait à répondre à leurs attentes.Aujourd’hui, les compagnies étrangères, y compris Air France, sont de retour. Et le marché mondial du transport aérien est en pleine expansion, avec notamment l’arrivée des compagnies à bas coûts (en anglais: law cost) et la multiplication des alliances. « Nous avons des soucis de places sur deux pays: l’Algérie et le Mali, se plaint Mahmoud. Sur toutes les autres destinations, notamment le Maroc et la Tunisie, nous avons le problème inverse ». Pourtant, en plus des dizaines de milliers de personnes qui partent passer l’Aïd avec leurs proches sur place, le Maroc et la Tunisie s’apprêtent à accueillir plusieurs centaines de milliers de touristes français et européens à l’occasion des fêtes de fin d’année.Déjà confortablement desservi par de nombreuses compagnies européennes, régulières et charters, le Maroc vient même d’autoriser pour la première fois des vols d’une compagnie à bas coûts. Ces dernières proposent des vols réguliers vers plusieurs villes du royaume (Marrakech, Casablanca...) à partir de 130 euros l’aller-retour. La Tunisie devrait également ouvrir son ciel à ces compagnies aériennes dans les prochaines semaines. L’Algérie quant à elle ne prévoit pas d’autoriser de nouvelles compagnies privées avant... 2009.

Rabah Yanis - Quotidien d'Oran, le 17 décembre 2006.

La guerre des mémoires aura-t-elle lieu ?

La guerre des mémoires aura-t-elle lieu ?
Le philosophe français Bernard Henri Levy a souvent affirmé son hostilité à une guerre des mémoires au prétexte qu’il n’existe pas de symétrie historique entre la shoah et d’autres actions génocidaires et exterminatrices subies par nombre de peuples dans le monde. Sans doute une telle posture occulte-t-elle les traumatismes mortifères pour les consciences collectives qu’ont induit l’esclavage, le colonialisme, les déportations massives de populations, les bains de sang effroyables qui révulseront la conscience humaine sans limite de temps. L’humanité se souviendra dans mille ans du carnage tragique qui a décimé les Indiens d’Amérique. Personne, et surtout pas Bernard Henri Levy, ne pourra dire que c’est là une parenthèse dont l’Amérique actuelle s’est exonérée en accédant au rang de puissance mondiale. Il n’y a pas, dans la configuration humaine, une hiérarchie de peuples ou de croyances, plus éligibles que d’autres à être légitimés par l’histoire passée ou celle en train de se faire. Car qui a décidé que les Indiens d’Amérique ne pouvaient plus avoir droit au chapitre ? Il suffit pour se convaincre du contraire de lire l’admirable ouvrage de Dee Brown, Enterre mon cœur à Wounded Knee. N’est-ce pas là aussi, sauf volonté de privilège exclusif, une shoah perpétrée de sang-froid ? Il n’empêche pourtant que le mot est entré dans le sens commun. Durant l’agression israélienne contre le Liban, des Arabes musulmans l’avaient qualifiée de shoah au regard du nombre effrayant de morts qu’elle avait occasionné. La mémoire humaine, celle de l’histoire, ne peuvent pas être graduées à l’aune de la pensée unique sans susciter du révisionnisme et du négationnisme. Le déni s’affirme, dans ce cas de figure, comme un positionnement politique qui chercherait à mettre les souffrances de l’humanité en concurrence au lieu que de les rassembler comme exemplaires d’actes à ne plus commettre. La disparition d’une tribu d’Amazonie constituée de dix individus serait un déchirement pour tout le genre humain. Car c’est un segment de civilisation universelle qui se diluera dans l’indifférente nature. Au-delà, il y a un juste milieu au-delà duquel ceux qui tiennent pour l’absolu de la shoah et ceux qui en contestent le bien-fondé diront paradoxalement la même chose. Le destin de l’humanité peut s’exempter de chocs qui ossifient la pensée et la désarment face à des dangers dont peu de peuples sortiront indemnes. Le devoir des penseurs éclairés, et Bernard Henri Levy en est un, est de conforter le sentiment que la communauté de destin qui unit les peuples du monde ne peut pas s’embarrasser de raccourcis. Il n’y a que le choix pertinent d’armer ces peuples de culture, le savoir étant un rempart contre le refus de l’autre. Transcender la guerre des mémoires, c’est livrer un combat sans merci à la misère, à l’ignorance, à l’indigence intellectuelle qui ont nourri les violences de l’histoire dont il convient de prendre acte aussi pour que le monde s’en trouve apaisé. Les hommes et les femmes naissent égaux en droits et en devoirs ; aucun des peuples qu’ils constituent n’a le monopole de la souffrance. Les voies de l’exclusive ne sont jamais celles qui conduisent aux vertus du partage.
Amine Lotfi (Editorial El Watan - le 13 décembre 2006 )

L’émotion de la quête des racines algériennes

Zinedine Zidane en Algérie à l’invitation du président de la République
L’émotion de la quête des racines algériennes
Lundi 11 Décembre 2006
Par
Chaffik Benhacene
Zinedine Zidane sera donc en Algérie à compter d’aujourd’hui, à l’invitation du président de la République, et visiblement les quelques voix qui s’étaient élevées, notamment en Kabylie -bien moins virulentes que celles qui s’étaient opposées au déplacement de Macias, lui aussi d’origine algérienne et invité du chef de l’Etat- pour l’inciter à se décommander, n’ont pas été entendues. Pour qui connaît l’extrême méticulosité avec laquelle l’ex-capitaine de l’équipe de France gère son image, particulièrement ses sorties publiques, le message peut valoir pour tous ceux qui, sur des registres divers, seraient tentés de rechercher quelques dividendes politiques d’un déplacement sans doute placé sous le signe de l’émotion et de la quête des racines. La seule certitude est que l’enfant de la Castellane –Yazid, pour tout dire- sera accompagné par le papa Slimane dont on sait, par les très rares témoignages personnels qu’il a consentis à la presse internationale, qu’il occupe une place très forte dans sa vie. Interrogé, récemment, sur le moment le plus intense d’une carrière qui n’en manqua guère, Zinedine Zidane l’a situé –sans doute à la surprise de son intervieweur– dans «les larmes que je voyais dans les yeux de mon père lorsqu’il m’avait accompagné, pour la première fois, au centre d’entraînement de l’AS Cannes». Pour toutes ces raisons, il est facile d’imaginer que la découverte d’Aguemoun et des racines de la famille constituera un moment exceptionnel pour Zidane qui sait d’ailleurs qu’il y est particulièrement attendu et ce n’est pas prendre un risque que d’affirmer que la chaleur et l’affection dont il sera entouré par les hommes et les femmes de la région traduiront les sentiments profonds de l’ensemble des Algériens à l’égard d’un homme aimé pour sa grande humanité et admiré pour son talent absolument hors normes. Cela dit, tous ceux qui accompagneront ce qui confère à un véritable pèlerinage, et plus particulièrement ceux des observateurs familiers du football de très haut niveau qui connaissent la grande pudeur de Zinedine à se livrer, suivront avec attention l’inédit challenge d’être précisément Zidane dans le pays des ancêtres.
Au panthéon du football mondial C’est que Zidane déplace les foules partout dans le monde –on l’aura encore vérifié tout récemment au Bangladesh- et son déplacement en Algérie a bien valeur d’événement, pour lui d’abord et ses proches, mais aussi sans nul doute, pour les Algériens d’ici et de France notamment. A l’image des quelques très rares joueurs d’exception qui ont pris place, comme Pelé ou Maradona, au panthéon du football mondial, Zidane incarne, au-delà de sa nationalité, cette capacité de se renouveler du football et de proposer des rêves universels à tous ceux qui, le plus souvent, sont privés de rêves et de libertés. Ce n’est pas le lieu ni le moment de revenir sur le sens et la portée de cet impact sans pareil et qui a définitivement intégré le football comme l’une des expressions majeures de la civilisation moderne et tout au plus faut-il enregistrer que la place qu’y occupe Zinedine Zidane n’est en rien usurpée. Plus qu’un palmarès tout à fait prodigieux –est-il sans doute l’un des joueurs qui a gagné tous les trophées proposés par la FIFA-, c’est en fait l’art d’être lui-même, c’est-à-dire capable de créativité, d’accélération, de générosité envers les coéquipiers –et ce ne seront pas Dugarry, Ronaldo ou Raul qui démentiront- au service d’une vision du jeu aussi spectaculaire qu’efficace qui font que Zidane a acquis un statut à part dans le football mondial que personne d’ailleurs ne songe à contester. Sa dernière sortie vaut que l’on s’y arrête dont le désormais culte «coup de boule» n’est qu’une énigmatique ponctuation car il faut rappeler que Zizou, qui avait officiellement fait part de sa retraite internationale, s’était lancé l’incroyable challenge d’amener en finale de Coupe du monde une équipe de France déconstruite, démoralisée, raillée y compris dans son propre pays. On peut avoir en mémoire quelques commentaires fielleux des médias français qui avaient accompagné le retour du retraité aussi promptement salué, les résultats aidant, en enfant prodige. Est-ce aussi cela, cette force morale exceptionnelle, cette capacité de (se) remobiliser qui place Zidane sur un registre d’exception.
L’énigmatique coup de boule A-t-il alors gâché, le 9 juillet dernier, le sacre ultime annoncé devant une équipe italienne battante mais sans réel génie, en répondant à des provocations auxquelles son long séjour dans le Calcio l’avaient forcément habitué ? On peut chipoter –comme continuent de le faire devant la justice ceux qui estiment illégale et abusive une expulsion fondée sur la vidéo que ne reconnaissent pas les règlements de la FIFA-, ou se perdre en conjectures sur les nerfs du capitaine de l’équipe de France qui auraient lâché alors même que tout le monde s’accorde sur la grande compétitivité d’un joueur ayant disputé les plus prestigieux titres. Le fait indiscutable est que la sortie de Zidane a privé la France d’un second sacre quasiment promis et, pour ne rester que sur le seul terrain sportif, cet incident inopiné aura, une fois de plus et surtout une fois pour toutes, vérifié que l’équipe de France avec ou sans Zidane n’est pas la même équipe. Alors, faut-il voir dans cet incroyable coup de boule –qui aura de manière à peine imaginable donné sens à la Coupe du monde allemande- l’inédite résurgence des racines profondes du pays des ancêtres ? Le peu de choses rapporté sur les insultes proférées par Materrazi mettent en jeu des notions d’honneur, de famille qui forcément prennent une résonance singulière dans les sociétés méditerranéennes et précisément dans la société algérienne. Sur le strict plan de la forme, Zidane a bien été expulsé pour une agression contre un adversaire selon les règlements de la FIFA et est-ce aussi cela qui donne une tonalité d’exception au message qui lui a été adressé –dans la nuit même de la finale, rédigé de sa main et adressé par ses propres soins à l’APS laisse-t-on entendre– par le président de la République qui plus est avait dûment évoqué –chose assez peu convenue- le cas Zidane lors de la conférence de presse sanctionnant sa visite officielle en Grande-Bretagne. Cette solidarité du pays des origines, exprimée si publiquement et par la voix la plus autorisée, au moment même où en France se dressaient déjà quelques potences médiatiques vaut d’être soulignée et a-t-elle, peut-être, rendu plus facile ou à tout le moins nécessaire l’hommage ostensible rendu par Jacques Chirac à Zidane lors de l’accueil officiel de l’équipe de France dans les jardins de l’Elysée le 14 juillet dernier.
Généreux et discret La question de savoir comment gérer les relations avec l’un des hommes constamment donnés parmi les plus appréciés par l’opinion française, est rien de moins qu’évidente et cela d’autant plus que dans le sillage de la fantastique aventure de l’été 98 et de la première consécration mondiale un agrément spectaculaire avait été donné à une France métissée «black-blanc-beur» dont Zizou avait été érigé comme l’un des symboles. Ainsi, il pouvait y avoir autre chose que la peur panique des «banlieues de l’islam» et cela d’autant plus que la «success story» de Zidane, fils d’un ouvrier algérien marié avec une Française aux consonances espagnoles, pouvait être tout à fait exemplaire –bien plus d’ailleurs que celle, tout aussi remarquable de Michel Platini, petit-fils d’Italiens- des capacités du modèle républicain français à fédérer les différences d’origine et de convictions religieuses. Depuis novembre 2005 et le brutal rappel à l’ordre des banlieues de la désespérance ou encore le climat assez glauque qui marque le rapport au passé colonial de la France et que traduit la loi de février 2005, mieux vaut, en effet, s’appeler Zidane et jouer au Real Madrid que travailler dans les aéroports de Paris quand on porte un nom arabe. Faut-il aussi donner acte à Zidane –contrairement à son ami Thuram qui s’est exprimé publiquement contre les positions de Sarkozy- de la stricte distance qu’il s’est constamment imposée avec le débat politique français et quitte-t-il les crampons quasi exclusivement pour soutenir des actions caritatives à l’image de celle de l’association ELA qu’il parraine. C’est aussi sur le registre du caritatif que Zinedine Zidane a effectué son retour au pays de ses parents et la presse algérienne n’a pas manqué de signaler ses gestes et l’appui qu’il apportait aux plus jeunes. Il en sera sans doute question durant le séjour qu’il entame –on parle en particulier d’une visite à l’hôpital de Draria-, alors même qu’ici et là dans le pays nombre d’associations -celle des diabétiques du Khroub en particulier- espèrent pouvoir sensibiliser Zizou à leur combat. Zidane, qui avait rencontré le football algérien le soir d’un certain 6 octobre 2000 au Stade de France, avait fait l’événement, l’été dernier, en prêtant son image à la campagne publicitaire d’un opérateur de téléphonie mobile, est assurément au fait de tout l’intérêt que lui portent les Algériens. L’ex-star du Real Madrid devrait être reçu à la présidence de la République pour une rencontre après tout inédite qui aura au moins le mérite de signaler que l’Algérie commence à regarder en face ces -petits–enfants sortis un peu de ses entrailles et qui ont su faire leur chemin sous un autre drapeau que le sien.
C. B ( La tribune - 11 décembre 2006 )